Vivre et penser le Conseil conjugal et familial - Albert MOYNE — Anccef - Association nationale des conseillers conjugaux et familiaux

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Vivre et penser le Conseil conjugal et familial - Albert MOYNE

Un cadeau en épisodes de M. Albert MOYNE auteur de Vivre et penser le Conseil conjugal et familial
Chronique Sociale, 2013/2021 - Cliquez sur le titre pour lire le deuxième épisode

Albert Moyne est docteur en Sciences de l'Éducation, tout en enseignant la philosophie dans un lycée, après un parcours psychanalytique puis rogérien et une formation au conseil conjugal et familial, il a aidé des couples, des adolescents et des familles en difficulté dans une École des Parents et des Educateurs, pendant plus de trente ans.

Il est l’auteur de « Vivre et penser le conseil conjugal et familial » dont vous trouverez une présentation ci- après.

M. MOYNE a réalisé des compléments de sa première édition. Cependant, l’édition de son ouvrage mis à jour n'ayant pas abouti, il nous propose généreusement de partager avec nous, au gré de nos newsletters, les compléments qui actualisent son ouvrage initial.

Vous êtes sans doute nombreux et nombreuses à connaître ce livre, voici une mise à jour de cet ouvrage… nous vous proposons au cours des prochaines news de vous livrer « les épisodes » de ces réactualisations. Nous remercions Albert Moyne de nous avoir livré gracieusement ce travail d’écriture.

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2/ Le vide de l'imaginaire et les moyens de le combler

A propos de l'imaginaire, j'ai rencontré deux cas curieux, dont le second au moins m'a posé problème. Quand il y a une sorte de vide dans la vie affective et sexuelle, l'imaginaire comble ce vide et on crée des situations quasi impossibles ou du moins (car c'est très difficile à saisir), on tente de vivre en rêve ou en rêverie, des satisfactions vaguement affectives ou sexuelles qui occupent la place vide dans l'espace mental jusqu'à ce que le problème se résolve d'une façon ou d'une autre.

Ainsi cette jeune femme qui m'a raconté, en Conseil conjugal, qu'elle ne pouvait pas partir au travail le matin sans avoir téléphoné à un homme qu'elle connaissait à peine. Ils s'étaient vus deux fois rapidement et avaient échangé prénoms et téléphone. C'était tout. Elle l'appelait régulièrement avant de partir, son mari ignorant tout. Ce téléphone matinal lui servait de « viatique » pour la journée, sans que leur conversation aille « très loin ». J'appris par la suite qu'elle s'était séparée de son mari et avait épousé un autre homme qui n'était pas le mystérieux « amant supposé ». Celui-ci avait cependant comblé le vide imaginaire de la personne et lui avait permis de « tenir » sa journée.

Voici un autre cas un peu différent et cependant proche par le rôle de l'imagination… Au cours d'une cure thermale à Vichy, j'ai rencontré une femme, la quarantaine, milieu bourgeois, mère de famille, vivant dans le sud-est. Elle me raconte qu'elle est là, à Vichy, chaque année à la même époque et qu'elle retrouve, en cure comme elle, son « ami », un avocat breton.

Elle me le décrit, sous le sceau du secret, car nous sommes dans le même hôtel avec d'autres curistes : « Chaque année, exactement, me raconte Mme X, nous nous retrouvons ici à l'hôtel, tous les deux, ayant bien pris soin de retenir deux chambres au même étage, mais pas à côté, exactement aux mêmes dates de cure à un jour près ; nous sommes à table quelques fois ensemble, lui et moi, d'autres fois séparés car les places sont libres. La nuit, c'est facile de se glisser dans l'autre chambre proche. Mais tout le reste de l'année, il n'y a pas un geste, pas un mot, pas une lettre, même par un pseudonyme convenu, pas un téléphone, pas un mail…rien, absolument rien qui puisse trahir quoi que ce soit entre nous. Nous 2 nous imposons cette ascèse pour mon mari, pour mes enfants... C'est la condition pour survivre et nous revoir trois semaines par an dans le plus grand incognito depuis cinq ans… Je ne « tiens » dans mon foyer, dans ma ville où je suis militante d'action catholique connue – ce qui correspond à mes convictions - qu'à cette condition...tout se passe dans ma tête, dans ce que je vis en imagination, en demi-rêve… Ainsi je « tiens », lui aussi... » Cette femme a quand même ajouté : « cela me fait du bien de vous le dire…mais... qu'en pensez-vous ? » Je n'étais pas en situation de Conseil conjugal, l'aurais-je été, je crois que ma réponse n'aurait pas été différente : « je vous comprends... »

Cependant cette réponse est-elle suffisante ? Sur le moment, je n'y ai pas prêté attention. Mais peut-on se contenter, en conseil, de refléter en quelque sorte, au nom de l'empathie, ce que nous dit la personne sans la faire progresser dans sa réflexion, sans explorer avec elle tout le champ des possibles que cachent les passions inavouées et les désirs secrets ? Ici, par exemple, qu'en est-il du mari de cette femme ? S'est-elle seulement posé la question ? Ceci est à explorer comme l'ici et maintenant. On voit là ce qui différencie le Conseil du simple échange entre amis.

On voit aussi toute la part d'imaginaire qui se glisse dans ces deux exemples. Heureusement, cet imaginaire est là pour permettre de tenir dans les situations impossibles de la vie... Comment font, en effet, les prisonniers ? Et à quoi servent théâtre, romans, cinéma, même l'art et la poésie, sinon à combler ce vide de sens du vécu ? Le phantasme occupe le vide. « Ce qui est investi au fond, ce n'est pas l'autre, c'est la relation », dirait, je pense, un psychanalyste. C'est particulièrement net dans le premier exemple ci-dessus où c'est un troisième homme et non le second qui a emporté finalement la « partie ».

C'est la raison, en Conseil conjugal, de conseiller un style de vie dynamique et créatif dans le couple. Mais quand on rencontre des cas pareils on comprend aussi que, à moins de se transformer en thérapeute freudien, fouillant l'inconscient, le CCEF en reste à une empathie rogérienne qui aide à nommer exactement les sentiments pour que, au moins, les mots justes apprivoisent le temps, le gardent, le prolongent même et du coup soulagent le poids de l'indicible… C'est déjà beaucoup. Le reste, pour s'avancer plus loin, est un problème d'intuition...

L'imagination, « cette maîtresse d'erreur » disait Pascal. Certes... Mais, en son absence, la vie vaut-elle parfois d'être vécue ? A moins que, dans le cas présent, il 3 ne s'agisse d'une sorte d'amour de substitution ou de complément, l'amour rêvé étant le double manquant à l'amour réel, l'amant le double du mari manquant ou défaillant. Comme si l'être humain ne pouvait pas vivre dans la même personne la totalité de l'acte amoureux : l'amant réel ou imaginaire, substitut du mari ? le mari substitut de l'amant ? Mystère de l'amour, rêve immense alors que le réel est limité…Mais amour impossible comme dans Tchekhov.

Enfin (mais quand donc y a-t-il un « enfin » en sexualité puisque, aujourd'hui, elle est partout ?) « Les formes du couple sont plus variées qu'autrefois » a écrit Gérard Neyrand en sociologue avisé (La Croix, 03/10/2019). On trouvera ci- après deux autres exemples de « situations » d'amour impossible fréquentes de nos jours.