"Grand angle sur le consentement, de l'intime au sociétal" Une approche par la sociologie - Ludovic Aubin — Anccef - Association nationale des conseillers conjugaux et familiaux

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"Grand angle sur le consentement, de l'intime au sociétal" Une approche par la sociologie - Ludovic Aubin

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La demande du réseau ANCCEF : réfléchir à la notion de consentement dans les différentes sphères de la société (conjugale, professionnelle, éducative, sociale, intergénérationnelle, etc.)

L´approche proposée : à partir de la sociologie, de quelques éléments d´anthropologie, de philosophie et de réflexions éthiques et incarnées, proposer un regard multiple sur la notion de consentement notamment dans son rapport à la notion de violence et de l´évolution du seuil de tolérance vis-à-vis de la violence (au cours de l´histoire, au moins occidentale).

Détour terminologique :

Con- (du latin, cum : avec) : préfixe renvoyant à la relation 

Sentir : éprouver intérieurement, subjectivement une sensation, un sentiment. Ce verbe renvoie à une expérience personnelle qui ne peut être forcée, obligée, contrainte. Un détour lexicologique renvoie à une première difficulté, tension, paradoxe soi/autre. 

C´est toute la richesse de la notion de consentement : au carrefour du social /sociétal (intrinsèquement relationnel ; tributaire de l´évolution des normes éthiques et morales des groupes d´appartenance du sujet ; des représentations, des valeurs, des débats sociétaux), d´une part et de l´intime, d´autre part. 

Le consentement se donne et se reçoit dans des relations qui impliquent toujours la personne, immergée dans des relations sociales et, plus radicalement encore, produit du social. Il y a un mystère de consentement quelque chose d’extrêmement délicat de doux qui renvoie à ce qu’il y a de peut-être plus humain dans l’humain l’adhésion libre non forcée non violente à une proposition à une invitation. C’est autour de ce mystère que nous nous réunissons aujourd’hui. On peut faire l'analogie entre la question du consentement et notre relation à une fleur présente devant, nous dans toute sa fragilité, sa beauté et son impermanence. Devant cette fleur, quelle sera notre attitude ? On la consommera - y compris des yeux ? on la cueillera ? on l´avalera (comme le décrit Etty Hillesum dans son livre Une vie bouleversée ?!), on lui arrachera les pétales ? ou bien on la contemplera longuement dans une attitude méditative et voyant en elle une manifestation de l´univers tout entier ou de Dieu pour les croyants ! Autant d´attitudes possibles…

Notre thème du consentement semble donc bien être indissociable du thème de la violence sous ses diverses formes (pratiques, vécu interne, sensibilité etc., et évolution et diversité de tous ces aspects au cours des époques, en fonction des contextes etc.).

Réflexions sur la nature sociale du moi à partir de la théorie mimétique :

Dès la conception, nous sommes des êtres de relation, d´une rencontre, d’ailleurs consentie ou non et cela déterminera beaucoup de choses dans notre histoire !

Selon la théorie mimétique, quelque chose comme le soi humain, le « moi », n´advient que par la médiation de l´autre, par imitation. Je dis « je » parce qu´un autre (la mère, le père, ou tout autre médiateur déjà immergé dans le langage humain) a dit « je » pour moi et que je l´ai imité !

Eléments de psychologie interdividuelle (et non inter-individuelle) : Le fait psychologique se passe donc dans la relation (ou par la médiation d´autrui). C´est la relation qui crée ce qu´on appelle le soi. Il ne s´agit pas de considérer l´interaction entre deux soi existants, mais de comprendre que le soi n´existe pas …en soi. Il est toujours déjà relation, relationnel, médiatisé (divisé entre…/ interdividuel, hétérogène, contenant l´autre, produit par l´autre etc.).

L´être humain ne peut donc pas se définir en dehors de ses rapports avec les autres.

À partir de là, existe-t-il un consentement pur ?

Evolution du seuil de tolérance vis-à-vis de la violence au cours de l´histoire. Impacts sur la notion de consentement

Où en sommes-nous aujourd´hui par rapport aux notions de violence et de consentement ? Centralité de la figure victimaire dans le débat public.

On assiste à un mouvement déjà ancien (mais fondateur ou en tout cas constitutif de la modernité et de ses paradoxes), très profond qui va s´accélérant et se globalisant : dénonciation / révélation de conduites, comportements, pratiques autrefois considérées « normales », « naturelles » et aujourd´hui jugées inacceptables. Ce mouvement est celui d´une libération de la parole à un niveau global alliée à une meilleure écoute des récits : #Metoo, les livres de Vanessa Springora, Flavie Flament, Camille Kouchner, etc.

Les réflexions sur le consentement vont donc de pair avec l´évolution du droit des personnes et la conscience de ces droits qui pénètrent les divers secteurs et sphères de la société (dans les textes, dans les discours, dans les mentalités – représentations sociales, dans les législations[1]).

En même temps, des phénomènes de déshumanisation des relations dus à une industrialisation de la prise en charge (et une gestion purement financière de certains établissements), inenvisageables il y a peu encore, pose de nouvelles questions dans le champ du soin, du médico-social, etc. (Ex. : le livre sur les Ephad - Les fossoyeurs: Révélations sur le système qui maltraite nos aînés de  Victor Castanet)

Développements récents autour de la notion de consentement :

Ces progrès (du refus de ce qui était jadis naturalisé) génèrent d´immenses bouleversements sociaux, sociétaux, subjectifs, psychologiques.

Par exemple, des personnes se reconnaissent aujourd’hui comme ayant été victimes dans le passé, d´abus, de violence, de mauvais traitements car elles sont désormais en mesure de faire une lecture rétrospective de ces situations à la lumière des débats et conquêtes d´aujourd´hui. Elles se trouvent parfois prises dans un dilemme : dois-je parler au risque de faire exploser la structure familiale, institutionnelle, etc.

[1] A ce propos, faire une parenthèse sur les aspects juridiques dans les champs de la sexualité, du travail, du soin etc.

Conséquences anthropologiques :

Nous serions donc dans la situation historique suivante : un changement de nature anthropologique. Toutes les sociétés contemporaines, à des rythmes et des degrés divers, semblent être concernées par ces changements profonds (en Iran, en Chine, au Brésil etc.)

Pourquoi est-ce si important ? Car toute société humaine est (était) fondée sur l´acceptation (consentie/contrainte) d´une certaine dose de violence pour maintenir la stabilité de l´ordre social. C´est ce qu´on appelle la logique sacrificielle.

Cette logique, pour des raisons complexes qu´il serait trop long d´aborder ici, nos sociétés ne l´acceptent plus (elles n´y consentent plus) et cela crée de nouveaux défis, de nouveaux blocages, des conflits, de nouvelles crispations, etc…

Par exemple, des « blagues » qui autrefois étaient acceptées peuvent aujourd´hui être considérés comme offensantes ou racistes. Dans un tout autre domaine, la fessée qui pouvait être vue comme une méthode éducative normale sera désormais considérée comme de la violence éducative ordinaire.

Qu´on s´en désole (« on peut plus rire de rien ! ») ou qu´on s´en réjouisse (« enfin ! »), cet état de fait est inédit par son ampleur, sa profondeur et sa rapidité. Il constitue le nouveau contexte de nos échanges sociaux.

Conséquences politiques :

Plus la conscience sociale et individuelle des droits augmente (refus de la violence politique et institutionnelle : « une dose de violence pour un Bien plus grand »), plus les techniques politiques et publicitaires de manipulation de l´opinion se raffinent afin de créer l´adhésion, le consentement. Nos sociétés voient donc l´avènement des communicants, des publicitaires, des influenceurs, etc.(Chomsky, 1988)

Nous n´avons jamais autant parlé de manipulation mais les techniques n´ont jamais été aussi sophistiquées qu´aujourd´hui pour produire le consentement (psychologie des foules, algorithmes, affaire Cambridge Analytica, etc.) …

Tâches et questionnements éthiques :

Existe-t-il donc un consentement pur ? authentiquement personnel ? Qu´en est-il de l´auto-détermination si

Si oui, quelles en sont les conditions d´apparition, d´existence ? La con-fiance ? Elle-même relationnelle et délicate, fragile par nature.

Sinon, comment un consentement peut-il demeurer éthique et conforme au droit et à la sensibilité de nos sociétés contemporaines (sociétés de droit, démocratiques, etc.) ? En d´autres termes, comment distinguer une stratégie (conforme à l´éthique) des techniques manipulatoires ?

Comment respecter l´opinion d´autrui y compris (et surtout) quand il est en désaccord avec nous et quand son opinion le met en danger ? Peut-on vouloir le bien d´autrui contre son gré ?

Il faut sans doute que le professionnel en passe par un regard lucide sur ses propres croyances et sentiments lorsqu´il se trouve confronté à une situation où le consentement est en jeu.

Le défi est donc, me semble-t-il, de concilier prise de recul sur la notion riche et complexe de consentement et prise en compte des situations réelles que les professionnels sont amenés à rencontrer dans leurs pratiques professionnelles. 

Dans les groupes en formation avec lesquels je travaille sur le thème du conflit (médiation, prévention, gestion), on est un peu confrontés au même défi : prendre du recul sur le conflit et/ou sur la violence et construction de stratégies éthiques et pratiques pour faire face à des très concrètes qui génèrent de la souffrance...

Il est possible de s´entrainer en choisissant une situation particulièrement évocatrice et représentative des difficultés rencontrées sur ce thème dans les pratiques professionnelles.

Puis, à partir de l'Analyse Fonctionnelle d´Aaron Beck (cliquez ici pour voir le tableau), en faire une analyse approfondie.

En vert : expérience intérieure

En bleu-gris : ce qui est observable, "objectivable"

Cet outil peut être utilisé avec les personnes accompagnées pour les aider à y voir plus clair mais il peut aussi être utile pour aider les professionnels à y voir plus clair également.

A partir de l´analyse élaborée, construire un discours assertif qui permette l´affirmation de soi en tant que professionnel.le et l'affirmation de l'autre : dire ce qui nous semble important tout en acceptant que l'autre ne soit pas d´accord / inviter l'autre à dire ce qui est important pour lui tout en exprimant notre désaccord, le cas échéant)...

J´insiste pour dire (même si ça va de soi) que je n'ai pas de solutions a priori. Le consentement étant un phénomène relationnel par essence, les solutions à ces questions sont des produits sociaux, collectifs, des co-constructions.

En résumé, comment aider les personnes accompagnées à se reconnecter à ce qu´elles ressentent dans les situations où la question du choix (et donc du consentement) se pose et les aider à exprimer ce ressenti ?

Autrement dit, comment les aider à être en congruence entre ce qu´elles ressentent et ce qu´elles expriment ?

Conclusion 

Pour protéger les parties en relation dans les divers contextes évoqués, s´achemine-t-on (plus que nous y sommes déjà), vers une société du tout-contrat ? A l´exemple du Protocole de prévention des infractions sexuelles (SOPP en anglais) du Antioch College (Ohio, USA).

On essaie d´avoir une approche paradoxale (ou complexe) sur les évolutions sociales et d´appliquer ce regard à l'histoire, à la sociologie et à l´anthropologie.

Cette approche paradoxale ou complexe peut déboucher sur une troisième voie éthique qui cherche à dépasser le cynisme ou le désespoir, d´un côté (quant à la nature humaine) et l'angélisme, de l´autre.

Chaque "progrès" ou chaque victoire symbolique ou juridique pour lutter contre la violence et « en faveur » du consentement (comme la reconnaissance du statut de victime pour une personne ou un groupe, par exemple) peut s'accompagner d´effets contraires, contreproductifs, d'un redoublement de violence, d´un "raffinement" des formes de violence...

Car en effet, ce qui rend les relations humaines particulièrement complexes, c´est ce que dans la Théorie mimétique on appelle la rivalité mimétique, qui n´est autre que la mauvaise foi, l´esprit de contradiction, la manipulation. Autant de facteurs « compliquants » des relations humaines qui nous amènent à dire le contraire de ce que l´on ressent et de ce que l´on pense pour ne pas donner raison à l´autre lorsqu´on le voit comme rival…

Doit-on renoncer pour autant à la vérité et à la dire ? Tenir et voir ensemble le tragique et la beauté de l´existence et de la vie ! Tout un programme !!!

Et la perspective théologique ? Dieu dans tout ça ?

Pour s´en tenir au christianisme, si l´on en croit ce qui est annoncé dans les évangiles, Dieu est Amour (1 Jean 4:8). Il ne peut donc s´imposer aux Hommes par la violence (ni la justifier). C´est un Dieu qui, par la médiation du Fils, respecte absolument la liberté de l´Homme d´accepter ou de refuser l´Offre du Royaume. Il s´agit d´une invitation à une relation consentie.

Mais ceci est une autre histoire…. Quoique !

 

Ludovic Aubin

ludaubin@gmail.com

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