Le conseil conjugal et familial et l'accompagnement auprès des personnes victimes de violences conjugales, une expérience parmi tant d'autres — Anccef - Association nationale des conseillers conjugaux et familiaux

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Le conseil conjugal et familial et l'accompagnement auprès des personnes victimes de violences conjugales, une expérience parmi tant d'autres

Faut-il s’inquiéter des premiers cris, de la première menace ? La première gifle était-elle un accident de parcours ou un signe précurseur ? Quel est l’impact des crises conjugales sur leurs enfants ? Qu’est-ce que la violence dit de l’auteur et de la relation en cours ? Cliquez le titre pour lire la suite

La difficulté à repérer les violences vient du fait que tout ce qui ne se voit pas, peut être interprété comme insignifiant, sans « signes » réels, et les critères d’évaluation varient d’un lieu à un autre, souvent dépendants du professionnel qui entend « la plainte ». La violence conjugale n'est pas que le signe d'un couple en difficulté. Elle « signe » la fin de l’altérité et le commencement de la pensée unique.

Dans les différents lieux de consultations où j'ai exercé, je me suis toujours attaché à accueillir principalement des personnes seules ou des couples présentant des premières violences, ou encore des couples qui maintiennent une relation malgré une violence que j’appellerais « sournoise » mais qui souhaitent du changement dans leur relation. Ce sont le plus souvent des couples où la tension est présente depuis un certain temps, où les sujets de conflits sont prétextes aux invectives et aux attitudes tendues sans jamais être dans un passage à l’acte, tout en rappelant que toute violence invisible est déjà un passage à l’acte.

Cette possibilité est élaborée à partir d’entretiens individuels avec chacun des concernés avant la consultation en couple. Ce qui permet d'entendre la demande de consultation, de qui vient-elle et dans quelle perspective s'inscrit-elle ?

Ce cadre a eu pour bénéfice d’offrir un « entre-eux-deux», un espace qui ouvre la voie au questionnement à ce qui se passe «entre-eux-deux», un intervalle qui donne la place à la différence et à sortir du « Tout » ou « Rien » pour faire exister le «je suis» de chacun et d’ouvrir un espace où le pensable autrement trouverait sa place.

Les consultations ont pour objectifs d’évaluer également le désir ainsi que la capacité au changement de chacun, et à partir de leur représentation, d'aborder « le croire dans le couple ». Le chemin qui est proposé en consultation consiste à aider chaque personne du couple à un travail d’individuation, « à retrouver ses parts psychiques d’eux-mêmes déposées dans l’autre ». Ce point fait partie intégrante également dans un accompagnement individuel.                                                                         

Parmi les différents lieux d'exercice depuis 2000 en tant que Conseiller Conjugal et Familial, j'ai fait le choix de relater ici ma dernière intervention (2016-2019) auprès des femmes victimes de violences conjugales. Ce qui suit est un témoignage professionnel et non traité sur la violence conjugale, tant de professionnels ont déjà écrits sur le sujet qu'il m'a semblé complémentaire d'aborder une pratique spécifique du Conseiller Conjugal et Familial.

Coordinateur d'un lieu de visite médiatisé (Relais Parents-Enfants Annecy), coordinateur d'un service d'accueil d'urgence pour femmes et enfants victimes de violences (CHRS Annecy), consultant à l'EPE 74, c'est auprès de l'association d'aide aux victimes (AVRE76, Aide aux victimes d’infractions pénales) membre du réseau de l’INAVEM (Institut National d’aide aux Victimes et de Médiation) que j'ai expérimenté une autre manière d'accompagner les femmes victimes de violences.

L'association accueille les victimes de violences conjugales, les informe sur les démarches à effectuer pour faire valoir leurs droits et les accompagne tout au long de la procédure judiciaire. Les personnes orientées à AVRE 76 ne viennent pas pour faire le point ou pour souhaiter du changement dans leur relation de couple, elles sont dans une démarche de protection et de séparation. C’est pourquoi, la consultation conjugale et familiale s'est adaptée à ce contexte tout en préservant la pratique de ce métier. Elle est au carrefour du social, du médical, du psychologique et du juridique.

J'ai travaillé avec une équipe pluridisciplinaire (deux juristes, deux psychologues, deux infirmières psychiatriques et une Conseillère Conjugale et Familiale) œuvrant dans la complémentarité pour répondre au mieux aux difficultés des victimes en grande souffrance. Il m'a été demandé de contribuer à la mise en place d'un accompagnement spécifique pour les personnes victimes de violences conjugales, de prendre en compte la souffrance liée aux violences et à consolider cette prestation inexistante encore sur le bassin Havrais. Si l'accompagnement avait été défini dans les grands axes au moment du démarrage de l'action, il s'est précisé au fil du temps, des entretiens, des difficultés des personnes, de nos questionnements et du cadre de l'association.

Ce travail s'est mis en œuvre grâce à l'apport des compétences de chacun.

J'ai apporté des adaptations aux entretiens de consultations conjugales et familiales compte tenu du contexte juridique et social de l'association, tout en conservant les invariants qui constituent le cadre des consultations.

Nous avons ainsi pu offrir aux bénéficiaires un regard pluriel sur leur situation, des points de vue différenciés et complémentaires et un accompagnement adapté (soutien psychologique-démarches-informations-orientations).

 L'accompagnement s'est traduit :

=> Par des entretiens au siège de l'association et en externe pour les personnes les plus en difficultés sociales. Globalement, les entretiens se sont déroulés en individuel, pour certaines situations j'ai fait le choix de mener les entretiens en binôme (infirmière psychiatrique et Conseiller Conjugal ou juriste/Conseiller Conjugal). Entretien sur le modèle de « l'équipe réfléchissante (1)», développée en approche systémique (Bateson 1977-Tom Andersen 1987). La personne réfléchissante, dans sa posture est en miroir du système en cours, elle a pour proposition d'ouvrir de nouveaux horizons par ses remarques personnelles. Nous avons au fil des entretiens, interverti nos places et nos fonctions. J'ai expérimenté la première fois cette modalité d'intervention avec Bénédicte Sempé-Némoz dans le cadre des thérapies familiales à Chambéry.

=> Par une posture prioritairement « d'être » à l’écoute de la demande et de la souffrance des personnes venant solliciter le service. Il s’est agit de clarifier avec la personne de quoi cette souffrance parle-t-elle : de perte, de renoncement, de blessures, de coups ou d'autre chose ? Du lien ou de soi-même, ou peut-être des deux ? De différencier le conflit de la violence et de repréciser la responsabilité pénale de l'auteur de violence.

=> L'évaluation des besoins de la personne, des violences subies, des peurs et de la place des enfants au milieu des violences. Ces champs d'investigation sont les plus importants dans l'accompagnement ; ils signifient à la victime que sa souffrance est prise en compte et conditionnent l'adhésion de la personne aux démarches à mettre en route si elle le souhaite (dépôt de plainte, saisine du JAF, relecture et éclairage sur des décisions de justice, mise en lien avec les services sociaux de secteur). La consultation conjugale et familiale ouvre un espace de parole et d’échange, un lieu où la souffrance peut être déposée sans peur et poursuivre en ouvrant des fenêtres sur des horizons encore mal définis. C'est un temps pour apprendre à être à l’écoute de soi et à revisiter son projet couple, un temps où il devient possible de « poser » sa plainte sans exclure de «déposer» plainte. Le chemin qui est proposé en consultation consiste à aider chaque personne du couple à un travail d’individuation, « à retrouver ses parts psychiques d’eux-mêmes déposées dans l’autre ».

=> Dans les démarches physiques, être à côté de la personne : auprès d'un avocat, au commissariat, en gendarmerie ou au tribunal.

=> Dans l'élaboration d'une aide en direction des soins (urgences, psychologue, médecin psychiatre, Unité de Thérapie Familiale).

=> Enfin, innover quant à « la place des enfants ». Il me faut mentionner ce point en particulier : la place de l’enfant dans la violence conjugale, en fait, il est «au cœur de la violence ». Il n’existe pas ou peu de prise en charge systématique pour ces enfants « victimes ». Mal diagnostiqués et donc mal soignés, pas entendus par les instances judiciaires (gendarmerie, police et magistrats), ces enfants sont encore au bord de la route des professionnels. A titre exceptionnel, nous avons rencontré des enfants, témoins et victimes de violences conjugales, à la demande des mères, pour évoquer avec eux, leurs vécus et les orienter en fonction de leurs difficultés et de leurs besoins vers les services compétents. L'enfant qui accompagne le parent devrait se voir aussi proposer un espace d'expression autant que le parent plaignant. En 2016, 143 000 enfants ont été exposés à des violences conjugales, 43% d'entre eux avaient moins de 6 ans.

On parle souvent de l'enfant témoin-victime, mais qui entend l'enfant, non pas comme témoin mais en tant que « sujet » victime au même titre que la mère victime de violence de la part du conjoint ? Les magistrats refusent d'entendre les enfants selon l'article 338-1 de procédure civile pour leur éviter d'être en conflit de loyauté envers l'un des parents et parce que son âge ne lui permet pas d'être entendu, mais aucune argumentation au sujet « du traumatisme » vécu par les enfants.

Nous avons été d'une façon récurrente, confrontés à des situations au moment des faits qui nous interrogent sans cesse : rappeler sans cesse aux services de police ou de gendarmerie qu'ils n'ont pas à décider d'enregistrer ou pas une plainte, mais qu'ils sont dans l'obligation de prendre la plainte avec ou sans certificat médical. Pourquoi la violence psychologique n'est-elle pas (suffisamment) prise en compte par les magistrats au moment de la plainte ? Et qu'en est-il du traumatisme de l'enfant ? Qui a pour mission de l'évaluer et de l'accompagner ? Qui va entendre sa plainte ? Pourquoi l'ordonnance de protection est-elle si difficile à mettre en place ? Il aura fallu la médiatisation des féminicides pour qu'enfin les magistrats s'obligent à en délivrer davantage.

Le Monde le 17/11/2019 : la ministre de la justice commente, dans le JDD, un rapport sur les homicides conjugaux admettant que « la chaîne pénale n’est pas satisfaisante ».

Le document (portant sur 2015-2016) révèle également que dans 41 % des 88 cas de crimes conjugaux étudiés, la victime s’était déjà signalée. Le 15 novembre lors d’un colloque à la Cour de Cassation à Paris « En dix ans, nous avons recensé près de 1 500 femmes qui ont péri, victimes de leur conjoint et parfois de nos propres défaillances », avait-elle déclarée.

Que dire de l'exercice du droit de visite et d'hébergement classique accordé au père violent ?  Pourquoi faut-il attendre qu'il y ait « féminicide » pour supprimer l'autorité parentale ? Cela parle-t-il d'idéologie « maintien du lien à tout prix» ou d'autre chose ? Karen Sadlier (l'état de stress post-traumatique chez l'enfant. Puf 2001) : « j'affirme que la co-parentalité n'est pas possible dans les cas de violences conjugales ».

« Maintenir l'enfant dans son milieu familial alors qu'il subit de graves atteintes me paraît une aberration » (Maurice Berger (échec de la protection de l'enfance Dunod 2004).

Et que dire du délai de traitement entre, d'une part, le moment du recueil de la plainte et la réponse du Procureur ? Le temps judiciaire n'est pas celui de la souffrance, il ne se vit pas de la même manière.

A quoi sert d'inviter les victimes à « libérer la parole », « à déposer plainte » si celles qui parlent ne se sentent pas protégées ? Les menaces de mort, les privations de liberté, les humiliations, les traumatismes qui perdurent pendant la procédure, sont souvent des éléments insuffisants et la plainte est classée souvent sans suite pour insuffisances de preuves par des Procureurs censés protéger les personnes. Cela a pour effet immédiat de pousser les victimes au repli sur soi, à l'isolement et l'acceptation mortifère de la violence.  Le Docteur SALMONA, psychiatre, psychothérapeute et responsable de l’Institut de victimologie du 92 : « Le syndrome psycho-traumatique entraîne une souffrance cliniquement significative et une altération du fonctionnement social, professionnel et affectif lié aux violences » (memoiretraumatique.org).                                                                                  

Vignette :

Mme F. avec ses deux filles (6 et 8 ans) est orientée par un CHRS du Havre suite à une fin de prise en charge.

Ma collègue (infirmière psychiatrique) et moi-même (CCF), nous accueillons en entretien Mme F., après avoir préalablement défini nos places et nos interventions sur le modèle de l'équipe réfléchissante (Y. Rey , CERAS de Grenoble). J'ai la responsabilité de conduire l'entretien et ma collègue, à une place légèrement en retrait, en observatrice avec pour mission de « renvoyer » dans l'espace de l'entretien, ce qu'elle observe, entend dans l'interaction entre l'intervenant et Mme F. . Cette modalité est expliquée à Mme F. et nous lui demandons si cela lui convient ou la gêne. 

Le premier entretien est d’abord un temps pour prendre place, un temps sans parole et de regards, puis vient le temps de ressentir pour enfin vivre le temps de dire. Le moment de recueil d'information sur sa situation (sociale, familiale) en premier lieu, permet de vivre ces temps à leurs rythmes et ainsi donner du sens au lien d'accompagnement que nous proposons ensemble « ici » dans ce lieu. Tous les entretiens se réalisent sans la présence des enfants. 

A l'issue de ce premier entretien, nous définissons les modalités de l'accompagnement tout en priorisant l'aspect psychologique de Mme dans toutes ses démarches. Ma collègue, infirmière psychiatrique se charge plus particulièrement des questions sociales (accès aux droits, logement) et de la scolarisation des enfants et moi-même, je m'investis dans les procédures juridiques et dans le suivi judiciaire.                                                                                                                                                                                              Il y a dans un premier temps, un mouvement de recul me concernant, « comment un homme pourrait-il m'accompagner alors que ma peur et mon traumatisme me viennent justement des hommes ? », propos formulé après plusieurs séances en consultations. Que peut-il comprendre de ma culture arabophone où la place de la femme est bien définie ? Elle ignorait (et l'équipe aussi) que j'avais grandi en partie dans un milieu maghrébin et donc en connaissait bien les us et coutumes. Ce qui est apparu comme des freins pour Mme, se sont traduit par être des ressources et une aide à un repositionnement à la relation à l'autre, c'est-à-dire, à l'homme.

Madame est sans emploi, séparée pour se protéger d'un conjoint violent. Elle a été détentrice d'un Téléphone Grand Danger (depuis juillet 2017) et a bénéficié d'une ordonnance de protection en juin 2017. Le Juge aux affaires Familiales a, malgré les éléments dont il disposait, accordé au père un droit de visite et d'hébergement, ce qui pose la question de l'évaluation : de la dangerosité du père, de la prise en compte des violences subies par les enfants témoins et victimes à la fois ?    

Les premiers entretiens sont principalement centrés sur la personne. Il n'était pas question de questionner sur « que s'est-il passé ?» mais davantage sur « de quoi avez-vous besoin ? » et « comment pouvons-nous vous aider ?». Ceci a permis à Mme F. de se décentrer un instant de l'objet de sa souffrance (impossible à dire) pour s'ouvrir à l'interaction avec nous.

Pendant plusieurs séances, son discours est ponctué des mots « peur » et « mes filles ». Toutes démarches sociales et judiciaires étaient regardées sous le prisme de ces deux leitmotivs. Plus tard, elle évoquera, comme une litanie, « pourquoi je vis » ; les questions existentielles et d'estime de soi commencent à émerger, mais seule la question « pour qui je vis » trouve issue en ses filles.

Le travail s'est d'abord porté avec Madame sur l'écoute de ses besoins et de sa souffrance. Ce qui est apparu d'une façon massive c'est son angoisse permanente de croiser son ex-mari, la peur l'accompagne, elle se retourne tout le temps dans tous ses déplacements. Impossible de se projeter à moyen terme, la protection reste sa priorité et le soin n'est pas encore pensé. Le travail en binôme, homme-femme a servi de matrice à la naissance de « la confiance » et de « l'adhésion » à l'accompagnement que nous lui avons proposé.

Au cours de la procédure de divorce engagée par Madame, Monsieur s'est rendu au domicile de Madame, l'étrangle devant ses deux enfants. Elle doit son salut à l'activation de son téléphone TGD et à l'intervention d'une voisine. Un dépôt de plainte suit l’événement, Mme et ses deux enfants sont terrorisés, ils vivent sous le régime de la peur depuis.

Le Juge aux affaires Familiales a refusé d'entendre les deux enfants (âgées de 6 et 8 ans) sous prétexte que les enfants ne disposaient pas du discernement nécessaire pour être entendus compte tenu de « leurs âges » et a rejeté la demande d'une expertise psychologique pour eux. La violence n'a pas de frontière et traverse tous les âges.

La fin de la prescription du TGD arrive à son terme et n'est pas renouvelé (?). Une audience avec le JAF pour non-conciliation est organisée, Monsieur se présente au tribunal sans être inquiété par qui que ce soit et personne (ni le JAF ni la procureur) ne se soit soucié des deux enfants "silencieuses" et la procédure au sujet de la plainte n'était toujours pas transmise au parquet (1 an après le dépôt de plainte).                                                                                                        

Situation sur le plan juridique et judiciaire 

Deux plaintes ont été déposées au commissariat, l’une en avril 2017 pour menace de mort (classée sans suite) et l’autre en juin 2017 pour violences habituelles suivies d’incapacité n’excédant pas 8 jours, classée sans suite alors qu’elles se situaient à l’intérieur de l’ordonnance de protection.

En janvier 2019, la plainte de Madame, déposée au commissariat en janvier 2018, n’était toujours pas envoyée au Procureur.                                                                                                                                                     

Dans la procédure de non-conciliation, l’ordonnance du JAF stipule que selon l’article 338-1 de procédure civile «..que le mineur capable de discernement peut être entendu par le juge ou lorsque son intérêt le commande.. ». « En l’espèce, écrit le JAF, les enfants ne disposent pas du discernement nécessaire pour être entendus compte tenu de leurs âges », mais la deuxième partie de l'article « ou lorsque son intérêt le commande » n'est pas entendue non plus. Est-ce du discernement ou de la souffrance et du traumatisme qu’il faut chercher à évaluer et à entendre ? Autrement dit, le magistrat n’entend pas le vécu des victimes et s'en tient à ce qu'il lit de la loi et à ce qu'il cherche à étayer. Il est question de droits de visite et d'hébergement de l'auteur de violence et non de l'intérêt des enfants.

Il y a un abime abyssal entre le discours sur la protection de l’enfance et la réalité décisionnelle. On se demande comment « l’intérêt de l’enfant » est évalué quand on ne se donne pas les moyens de ce que l’on décide.                                                                                                                                                           Comment le magistrat va-t-il statuer sur les droits de visite et d'hébergement dans l'intérêt des enfants sans les avoir rencontrés et entendus après les multiples dépôts de plaintes pour violences ? Aucune enquête sociale sur les conditions matérielles d’hébergement de Monsieur n’a été réalisée.

La décision d'accorder au père le droit de visite dans un premier temps, puis d'hébergement après, a été motivée par le fait que « rien ne permet de remettre en cause la capacité de Monsieur à prendre en charge les enfants » (décision du JAF). Autrement dit, un mari violent sur son épouse devant ses enfants peut être un bon père.

Madame est toujours dans un état traumatique. Les enfants rencontrent leur père à partir du cadre des visites médiatisées (pendant 3 mois) pour ensuite se transformer en droit de visite et d'hébergement classique (1 week-end sur 2 et la moitié des vacances scolaires chez le père). Elles restent silencieuses pendant cette période de visites médiatisées.

Sur le plan psychologique

Deux séances sont organisées à la demande de la mère avec ses deux enfants. Il s’est agi de communiquer sur la situation de l’instant, comment chacune vit « l’aujourd’hui ».

Les enfants ne disent rien sur les violences, rien sur ce qu'elles ont vu et vécu, Madame est désemparée, elle ne sait rien de ce qu'elles pensent ni de ce qu’elles vivent. Elles ne lâchent jamais leur mère dans leurs déplacements.         

Etant donnée la difficulté à communiquer dans la famille, j'ai proposé aux enfants de choisir des magnets (de formats, de couleurs et de motifs différents) (1-2) et de les placer sur un tableau magnétique pour évoquer qui compose leur famille et leur place dans cette famille. Les magnets ronds sans motif, sont utilisés pour placer les membres de sa famille à partir de soi, ce qui parle de « place » et « d'importance » (3) pour soi. Les magnets avec des visages style «émoji» pour qualifier la relation entre ces mêmes membres. Ce travail s'est réalisé en deux temps, le premier celui d'exposer « l'ici et maintenant, qui compose leur famille » et le second, si chacune avait le pouvoir de changer une chose, quelle serait-elle ?  La famille s’engage ludiquement dans ce travail. Nul besoin de mots pour se dire. Dans la deuxième séance, nous utilisons le photo-langage pour évoquer les émotions de l'instant, les choix d'images viendront en résonnance avec son intime. L'objectif de ces rencontres était en priorité d'offrir un espace de langage propre à chacun, où la parole trouverait son chemin au détour d'une image, d'un objet.

Pour respecter la difficulté de chacune, il a leur été demandé de décrire, non pas leurs propres choix mais ceux de l'autre et de donner du sens à ce qu’elles observent, ce qui a facilité l'expression puisqu'il ne s'agissait pas de parler de soi mais de l'autre. Un procédé pour faire communiquer les membres de la famille entre eux c'est, comme le définit Guy Ausloos, «de l'information pertinente», chacune découvre et entend l'autre parler de soi et entend parler de soi par quelqu'un d'autre, du même coup « l'information devient   pertinente  » puisque l'échange devient possible entre elles et sans «peur». « Un peu de cette façon, nous accompagnons patient, couple ou famille pour qu'ils puissent penser leurs conflits et en faire un récit à haute voix, il aura eu rencontre inter-humaine, communication de certains éléments pour que le sujet se sente libre et en sécurité devant les processus d'intériorisation » Claude ZENATTI (4)

Chacune apprend quelque chose de ces exercices. La mère est stupéfaite de la participation libre de ses enfants et entrevoit à partir de cette petite fenêtre « relationnelle» un aperçu émotionnel de la réalité de chacune. Quant aux enfants, ils ont pu évoquer « la famille » sans danger et sans risque pour soi-même. Ce qui a permis d'étayer avec chacune la possibilité de poursuivre ce qu'elles viennent d'amorcer à AVRE 76.

Après plusieurs séances, Mme F. a commencé à formuler le projet de changer de logement et de travailler pour son autonomie financière, elle a également accepté de démarrer des consultations avec ses deux filles, à l'Unité de Thérapie Familiale Systémique de l'hôpital du Havre.

Commencer à penser à soi, à prendre soin de soi est le signe amorcé de son autonomie de penser et de distanciation avec l'auteur de violence.

Le cadre que nous avons posé, la pluridisciplinarité dans nos interventions et le travail en réseau, sans lequel aucune perspective n'aurait été possible, ont largement contribué à cet accompagnement qui s'est voulu au plus près des difficultés de cette famille.

 

 Ressources et repères :

- stop-violences-femmes.gouv.fr

- Lettre d'informations France Victimes Septembre 2020 :                                                                                                                                 

La loi n°2020-936 visant à protéger les victimes de violences conjugales a vocation à renforcer de façon significative la protection de toutes les victimes de violences intrafamiliales, conjoint, ex-conjoint et enfants, en prenant en considération l’ensemble des perturbations de la vie familiale engendrées par ces violences, de quelque nature qu’elles soient. Elle a été définitivement adoptée le 30 juillet 2020 et publiée au Journal Officiel le 31 juillet 2020. Elle est entrée en vigueur le 1er août 2020.                                                                                                                                            

- Fédération nationale Solidarité Femmes /FNSF données chiffrées 3919 -2018                                                                                         

- Guide de Prise en charge des mineurs victimes mars 2020 (Ministère de la justice) :                                              

La circulaire de présentation de ces dispositions, diffusée le 28 janvier 2020 préconise, à défaut d’information préexistante (suivi administratif de la famille, juge des enfants déjà saisi…) « qu’une attention soit systématiquement portée aux conditions de vie et d’éducation des mineurs exposés aux violences conjugales, et indique que l’aide sociale à l’enfance doit être saisie d’une demande d’évaluation de la situation des enfants chaque fois que cela paraît nécessaire et notamment dans les cas de violences graves ou répétées ».                                                                                           

- Guide pratique de l'ordonnance de protection Août 2020 :

Le Juge aux Affaires Familiales informe sans délai le procureur de la République de la délivrance de l’ordonnance de protection, ainsi que des violences susceptibles de mettre en danger les enfants.  Avec l’accord des parties, le JAF qui ordonne le port d’un bracelet anti-rapprochement (BAR loi n°2019-1480 du 28 décembre 2019) à l’auteur des violences de s’approcher à moins d’une certaine distance de la victime.                                                                                    

Exercice de l’autorité parentale en cas de violences conjugales. En cas de contrôle judiciaire d'un auteur présumé de faits de violences, en phase d'enquête ou d'instruction, outre l’interdiction de tous contacts entre l’auteur présumé des faits de violence et les victimes, en ce compris les enfants, déjà possible, le juge des libertés et de la détention ou le juge d’instruction pourra désormais prévoir spécifiquement, en cas de violences conjugales, la suspension du droit de visite et d’hébergement à l’égard des enfants mineurs dont l’auteur présumé mis en examen est titulaire. Cette loi élargit par ailleurs le retrait possible de l’autorité parentale ou de son exercice à tous les cas de violences conjugales (et plus seulement les crimes).

-  Cellule de Recueil des Informations Préoccupantes (CRIP) 

Unités d’accueil Médico-Judiciaires pédiatriques (UMJ), pour les enfants victimes de violences sexuelles ou autres maltraitance "rappelant que l'enfant victime est un enfant souffrant avant d'être plaignant" et de concilier la prise en compte de la souffrance de l'enfant sur le plan médical, psychologique et social et les nécessités de l'enquête et /ou de l'instruction ayant pour finalité de parvenir à la manifestation de la vérité. L'audition peut être effectuée lors de l'enquête préliminaire sur réquisition du "Procureur" ainsi qu'ultérieurement au cours de l'instruction. Les UAMJP, spécialisées dans le recueil de la parole de l’enfant victime et actuellement au nombre de 58, seront généralisées sur tout le territoire d’ici 2022.
 

 

Bibliographie                                                                                                                                               

Marie-France Hirigoyen « Femmes sous emprise » Poche 21 septembre 2006

JC. Heim « Vivre sans violences » - Erès 2005.

Philippe Caillé-Yveline Rey « Les objets flottants » Edit. Fabert (1)

Lucien Halin-Yveline Rey « Prendre place » édit. Fabert (3)

Raymond Traube (Le totem familial, Thérapie Familiale 2008) (2)

Liliane Daligand « Les violences conjugales » Puf

Gérard Tixier « Les abus affectifs » Albin Michel

Claude Zenatti « Quel travail psychique pour les souffrances conjugales » Dialogues n°178 (4)

"ressources et repères" le site officiel de l'Etat : arretonslesviolences.gouv.fr

 

                                                                                                            Christian Le Blanc (73)