"Se sentir vivant même à l’approche de la mort" - Nicolas Sajus, CCF à Rodez — Anccef - Association nationale des conseillers conjugaux et familiaux

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"Se sentir vivant même à l’approche de la mort" - Nicolas Sajus, CCF à Rodez

Nicolas Sajus, CCF à Rodez, partage avec nous l’un de ses accompagnements auprès d’un couple confronté à la fin de vie pour l’un, d’épreuves en épreuves, jusqu’à la reprise d’une vie pour l’autre.

« Je n’ai pas peur de mourir mais j’ai peur de la laisser seule… »

Alain est marié depuis 35 ans à Lauriane. De leur union conjugale naîtront 3 enfants. Ces derniers sont tous insérés professionnellement.

C’est à 58 ans qu’on annonce à Alain, de manière fortuite, un cancer du poumon avec des métastases diffuses. Les examens se sont déroulés durant la période de la COVID suite à une simple grippe et une toux persistante. L’annonce sera un choc terrible, traumatique, tant les mots convoquent un inattendu.

C’est alors que débute une réciprocité de l’angoisse d’Alain face à son épouse. La fatigue, la douleur morale sont permanentes tant la sidération est grande d’autant que le pronostic sera posé sans aucune empathie par le médecin : « il en a pour 9 mois à vivre ! ».

Lauriane bascule dans une hyper vigilance, durant ses nuits, de son mari tant parfois il peut faire des pauses respiratoires. Il y a tout un chemin de Lauriane vers l’acceptation de l’annonce de la mort de son mari. 

De son côté, Alain va embrasser cette fin de vie, en s’organisant pour que sa femme n’ait aucun problème financier, tout comme ses trois enfants auprès de qui il veut laisser une trace.

Avec la rupture du lien via la disparition du couple, Lauriane endeuillée, porte même la dette du conjoint « survivant » : « il va me laisser, et je vais devoir gérer tout, toute seule ». Le poids d’Alain, défunt, pèse lourd dans l’économie psychique de Lauriane, désormais privée des ressources qu’elle avait lors de sa présence.

L’accompagnement de ce couple aura pour but d’évoquer la narrativité de leur l’histoire et de leur famille. Cela nécessitera une approche empathique, humaniste de ce qui les traverse.

Tous deux ont une grande pudeur.

Il s’agit d’un couple à transaction fusionnelle par étayage et non par dépendance. Selon les études, cette organisation conjugale a une prédictivité à une plus grande capacité de traverser les épreuves. La différence se jouerait sur une meilleure estime de soi, apportée par l’amour et les attentions réciproques. 

Cela suppose le travail de deuil d’un « avant » (où le sentiment de sécurité était lié à la présence et au regard miroir de l’autre) vers un « après » où la personne va se retrouver individuée, sans ne l’avoir jamais vraiment vécu. 

L’angoisse est donc grande de voir disparaître le repère, la base et la protection que l’autre a symbolisés et apportés, la sensation d’être soi-même suffisamment solide et autonome n’ayant été que rarement éprouvée. Pour ce couple qui s’inscrit dans la durée, qui a grandi et évolué ensemble, cette perspective de la réalité de la mort est parfois insoutenable. 

Tous deux exerçaient dans le droit mais à des postes différents. Leurs professions complémentaires, leur goût commun pour la musique, les ont fait s’enrichir mutuellement et évoluer ensemble dans une recherche d’épanouissement et de joie d’être ensemble. Leur investissement mutuel dans une pittoresque maison de campagne est pour eux un aboutissement là où durant 15 ans ils ont déménagé à plusieurs reprises suite aux mutations d’Alain.

Le cancer du poumon et son évolution rapide s'accompagnent d’une dégradation physique fulgurante.  Son épouse vit des angoisses paroxystiques qui font remonter les traumatismes d’enfance (mère dépressive, qui était dans une secte et qui était dépendante de l’alcool, père absent qui ne serait pas en réalité son vrai père et qui partira à ses 5 ans). L’angoisse de perdre son mari et de se projeter dans une très grande maison où elle sera seule, la plonge dans une profonde tristesse. À la fois elle arrive à décaler sa souffrance et son angoisse pour donner jusqu’au bout à son mari des témoignages d’affections et d’amour. La fin de vie se passera à domicile, car à nouveau ils évoqueront un accueil du médecin d’une grande violence : « mais bien sûr Madame que votre mari va mourir ! » aurait-il dit.

Aussi l’accompagnement conjugal se terminera à domicile durant les 10 derniers jours, à trois reprises.

Alain demeure toujours dans une grande dignité. Son épouse peut témoigner de son amour pour cet homme qui a toujours été « une béquille » pour elle qui n’avait pas eu de repères plus jeunes explique-t-elle.

Les séances en couple leur ont permis de revisiter l’ensemble de leur vie conjugale et finalement une sensation pour les deux de bonheur alors que la maladie conduit vers l’inéluctable.

Juste avant de mourir Alain est rassuré, car il a « sécurisé femme et enfants » peut-il exprimer. « Je n’ai pas peur de mourir mais j’ai peur de la laisser seule… »

Suite au décès d’Alain, son épouse va vivre une lourde période de vide avec l’émergence d’une alcoolisation régulière. Elle arrive à suppléer peu à peu, par une force dans l’engagement de type associatif qu’elle a toujours eu tout au long de sa vie. Cette resocialisation va lui être d’une grande aide et progressivement elle va même réinvestir sa vie personnelle en achetant un Van pour faire le tour de France et ainsi visiter ses enfants dont un est même à l’étranger. Elle avait rêvé de faire cela avec son mari à la retraite.

Les images traumatiques de l’annonce brutale de la maladie puis de la mort vont peu à peu s’estomper. 

Aller au cimetière tous les jours en post-immédiat du décès est une forme de permanence du lien qui peu à peu va se modifier, car Lauriane mesure combien elle s’enferme aussi dans le passé douloureux de la perte qui est mortifère. Elle s’autorisera donc à espacer les visites, et se sentira moins coupable « de ne pas penser à son mari tous les jours ».  Elle accède à vivre avec la perte d’Alain tout en existant pour elle. « La vie doit continuer » lui disait Alain.

En conclusion 

Pouvoir encore communiquer, accéder à la narration de vie, chacun à sa manière et de façon singulière, permet de se sentir vivant même à l’approche de la mort.

Alain et Lauriane témoignent de l’odeur du parfum de l’amour de l’autre transmis jusqu’au bout. L’accompagnement du couple a favorisé cela car il a autorisé les mots dans le respect, la confiance, la pudeur, dans un contexte thérapeutique à la fois discret et sécurisant et abaissant même les seuils de douleur physique d’Alain. 

C’est ainsi que chaque membre du couple a pu se sentir en paix.

 

Nicolas Sajus

Docteur en psychologie et psychopathologie clinique

Conseiller Conjugal et Familial – thérapeute systémicien

Membre de la plateforme nationale de la recherche sur la fin de vie